24 avril 2012 | Non classé
ROUEN (Seine-Maritime). Qui n’a jamais tiqué en réglant une consultation médicale au prix fort, au-delà du plafond de remboursement de la Sécurité sociale ? En vingt ans, les dépassements d’honoraires chez les spécialistes ont doublé pour atteindre le montant record de 2,5 milliards d’euros en 2010. Dans la région, le patient paye en moyenne 26€ de sa poche pour une consultation ou un acte clinique spécialisés.
Depuis le 22 mars dernier, les mutuelles sont contraintes de prendre en charge une partie des surfacturations. Il n’empêche, de plus en plus de médecins (6 sur 10) s’installent en secteur 2, à honoraires libres (1).
- Pourquoi des dépassements d’honoraires ? Pour permettre aux médecins de gagner plus sans plomber les comptes de la Sécu. L’idée est de Raymond Barre, alors Premier ministre, qui crée en 1980 le secteur 2. Les médecins conventionnés avec l’Assurance maladie optant pour cette catégorie peuvent fixer leurs tarifs librement. Le montant du dépassement reste à la charge de l’assuré, ou peut être remboursé par les complémentaires santé.
- Qui les pratique ? Un médecin sur 4 en France est classé en secteur à honoraires libres, donc susceptible de surfacturer ses prestations, selon une enquête de l’Assurance maladie publiée en 2011. En Haute-Normandie, cela concerne 18 % des praticiens toutes disciplines confondues, 57 % des spécialistes. Cette proportion est très variable d’une discipline à l’autre. Parmi les chirurgiens libéraux de la région, 76 % exercent en secteur 2. Ils sont même près de 90 % dans l’Eure. En revanche les taux de dépassement restent modérés.
- Que représentent les surfacturations dans le revenu des praticiens ?
Pour un chirurgien haut-normand, 46 000 € en moyenne par an ; pour un obstétricien, 27 000 €, pour un anesthésiste, 50 000 €. Ces trois disciplines sont les plus rémunératrices car les actes sont les plus côtés et les dépassements proportionnels aux tarifs de base.
- Comment sont fixés les tarifs ?
« Avec tact et mesure », dit le code de déontologie. Or « tout n’est pas parfait, reconnaît Jean-Luc Maupas, président du Conseil de l’ordre des médecins de Seine-Maritime. Dans certaines disciplines, certains confrères utilisent leur droit au dépassement de façon un peu systématique. » Dans l’idéal, « ce devrait être à la tête du client », ou plutôt à la bourse du patient : « Face à quelqu’un qui n’a pas d’argent, le tarif opposable devrait être appliqué. » Néanmoins, qu’un médecin titré, à forte notoriété, puisse demander plus, « c’est normal ».
- Où sont les abus ? Dans une enquête récente, 60 millions de consommateurs dénonce les pratiques de médecins des hôpitaux publics dans les grandes villes comme Paris, Lyon, Nice ou Strasbourg. Certains praticiens, autorisés à exercer en libéral, vont jusqu’à facturer des honoraires de 1 000 % supérieurs au tarif Sécu.
- Et dans la région ? Si la Haute-Normandie échappe aux aberrations, certaines consultations spécialisées donnent lieu à une surtaxe quasi systématique. Pour autant, « la Seine-Maritime est en ce domaine un département vertueux, relativise le président du Conseil de l’ordre, et ce grâce à « la présence d’un secteur hospitalier public extrêmement fort et d’un secteur hospitalier privé fort. C’est sain parce que toutes les disciplines sont bien représentées. »
Le Conseil de l’ordre a récemment été saisi par la Caisse d’assurance maladie, qui lui a fourni une « ultra short-list » des contrevenants au code de déontologie. « On convoque les médecins, on essaie de comprendre si une situation particulière justifie les abus. » Une mise en garde non suivie d’effet peut conduire devant la chambre disciplinaire. Du jamais vu depuis au moins dix ans.
- Peut-on négocier ? En théorie, oui. Les dépassements sont légaux. Tout praticien doit afficher ses tarifs de consultation et produire un devis avant toute intervention. C’est à ce moment qu’une négociation est possible. Avec parfois quelques zones d’ombres. Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), 8 % des patients se seraient déjà vus proposer de régler une prestation « au noir ».
(1) En secteur 1, les médecins conventionnés appliquent les tarifs de base la Sécurité sociale, 23 € pour une consultation chez un généraliste, 25 € chez un spécialiste (remboursé à 70 %). En secteur 2, les médecins fixent librement leurs tarifs.
Les mutuelles contraintes à rembourser
La gestation de ce dossier aura duré dix ans, pour aboutir à ce que la montagne accouche d’une souris. Un décret publié au journal officiel le 22 mars 2012 crée un nouveau secteur tarifaire dit « optionnel », censé encadrer les dépassements d’honoraires. Faute d’accord entre l’Assurance maladie, les syndicats de médecins libéraux et les complémentaires santé, le gouvernement y est allé au forceps.
La solution ? Une extension de « l’option de coordination » instaurée en 2005 et qui limite les dépassements sur les actes techniques. Le nouvel espace tarifaire est ouvert aux médecins de bloc exerçant en secteur 2. En contrepartie d’une prise en charge partielle de leurs cotisations sociales, les chirurgiens, anesthésistes et obstétriciens adhérant au dispositif s’engagent à réaliser 30 % de leurs actes au tarif Sécu et à plafonner leurs dépassements à 50 % du tarif opposable. Ce sont les mutuelles qui doivent désormais rembourser la différence.
La mesure a provoqué la vive réaction des associations de consommateurs et des mutuelles. « On vient chercher dans notre poche de l’argent pour assurer un meilleur confort aux praticiens ! De quel droit ? s’insurge Allain Verrier, président de la Mutualité Française Normandie. Les dépassements d’honoraires représentent des sommes fabuleuses sur des actes chirurgicaux, y compris à l’hôpital public. C’est inacceptable alors que de plus en plus de gens renoncent à se soigner, soit pour des raisons financières, soit à cause de la démographie médicale. Dans les cinq départements normands, on manque de médecins et de spécialistes. Cette mesure n’aura aucun intérêt pour les patients et les cotisations risquent d’augmenter. On n’a pas le choix. »
Bruno Devaux, anesthésiste-réanimateur à la clinique Saint-Hilaire de Rouen, replace les choses dans leur contexte : « Un chirurgien a entre 20 000 € et 30 000 € de charges par an. Il faut bien qu’il les fasse payer par quelqu’un. Le bonus vient après. Sachant que les actes chirurgicaux n’ont pas été recotés depuis 17 ans. Le problème, c’est que la gestion économique de l’assurance maladie empêche toute évolution de la rémunération des médecins, ce qui génère les dépassements d’honoraires. Si on veut réguler ou faire disparaître le secteur 2, il faut se poser la question de la rémunération des médecins de bloc, les payer au juste prix, qui n’est plus le juste prix de la sécurité sociale. » Lui a choisi d’exercer en secteur 2, sous le régime de l’option de coordination, et ne surfacture pas : « Je considère qu’on gagne déjà bien notre vie. »
Le témoignage de patients mis devant le fait accompli
A-t-on vraiment toujours le choix d’un médecin qui ne prend pas de dépassements d’honoraires ? Dans l’urgence, à voir.
Au printemps 2011, François (*), 42 ans, consulte son médecin traitant à Rouen pour un vilain abcès au bras gauche. « Il voulait m’envoyer aux urgences ou chez un dermatologue, » témoigne ce professionnel de la communication, réticent à l’idée d’une hospitalisation. Pas le temps. Le médecin lui recommande un nom. François prend donc rendez-vous chez le spécialiste. S’ensuivent trois consultations rapprochées, facturées 45 € chacune, pour une base de remboursement de 23 €. « Puis il a décidé d’inciser, en cabinet, sous anesthésie locale. Et là, c’était 80 €. » La mutuelle a réglé la différence, mais « j’ai payé rubis sur l’ongle sans savoir que j’allais être remboursé. Je n’avais pas le choix. C’était ça où trois jours d’hôpital, qui auraient coûté bien plus cher à la Sécu. »
Véronique (*), 50 ans, n’a pas eu cette chance. Cette enseignante havraise a payé de sa poche 1 415 € pour une lourde intervention chirurgicale au dos, dans une clinique privée parisienne. En février 2006, il y a urgence. « J’avais une lombosciatique résistante aux traitements, une vertèbre qui glissait, en lien avec une malformation congénitale. A plus longue échéance, j’allais finir en fauteuil roulant. » Elle consulte à l’hôpital du Havre, au CHU de Rouen, jusqu’à Liège en Belgique. Personne ne veut prendre le risque d’opérer. « Le professeur de Liège m’a renvoyée sur Paris », où un éminent chirurgien suggère une intervention imminente. Moyennant le paiement de 1 800 € de dépassements d’honoraires. « Quand j’ai appelé ma mutuelle, on m’a demandé si je me faisais opérer des seins ! Elle a refusé la prise en charge. Finalement, j’ai négocié avec l’assistante du chirurgien un tarif de 1 600 €. Et je n’ai pas réglé les dépassements réclamés pour l’anesthésie. Lui ne m’en a jamais dit un mot. » Une expérience douloureuse mais sans regrets : « Je n’avais pas le choix, mon état s’aggravait, il fallait opérer rapidement. J’ai subi une greffe osseuse que lui seul pouvait réaliser. Il m’a sauvé la vie. Mais je me dis que c’est une médecine à deux vitesses. J’ai pu régler en plusieurs fois, pourtant je travaille. Comment font les gens qui n’ont pas d’argent ? »
(*) Les prénoms ont été modifiés
Consultez ameli.fr pour connaître les tarifs des médecins
Le site de l’Assurance maladie ameli-direct.fr permet de consulter les tarifs des consultations et des actes pratiqués par tous les médecins conventionnés. Certaines disciplines donnent lieu à des dépassements quasi systématiques de la part des praticiens de secteur 2. Quelques exemples en Haute-Normandie :
- Orthopédie. Un chirurgien de la clinique privée Saint-Hilaire de Rouen facture 361 € pour une opération du ménisque (remboursée sur la base de 181,26 € par la Sécurité sociale) ; 694 € pour une chirurgie des ligaments du genou (tarif Sécu : 413,88 €).
- OPHTALMOLOGIE. Au CHU de Rouen, pour une opération de la cataracte, un chirurgien prend de 300 € à 420 € (400 € dans un cas sur deux). Tarif Sécu : 271,70 €.
- Pédiatrie. Au Havre, deux tiers des pédiatres sont en secteur à honoraires libres. L’un d’eux facture de 39 € à 46 € la consultation, remboursée 23 € par l’Assurance maladie.
n gynécologie. A Evreux, le seul gynécologue médical en ville facture la consultation à 45 €, pour un tarif de base de 23 €.
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